Venise, la Cité-Etat du Terrazzo (partie 1)

Photo : Création du Jardin Des Matières, Terrazzo "Billes de verts", marbres et perles de verres, 2022

Dans notre précédent article (la préhistoire du terrazo cliquez ici)  nous avions évoqué la genèse du Terrazzo, ses origines lointaines à rechercher dans la Grèce Antique puis Rome... Nous avions ensuite abordé le rôle essentiel des artisans de cette région du Nord-Est de l'Italie, le Friuli (Frioul), qui avaient su, à la façon des moines copistes du Bas Moyen-âge avec l'écriture, préserver les connaissances et savoir-faire relatifs à l'art du Terrazzo (Battuto) à la suite des invasions barbares pour ensuite participer très activement à l'édification de Venise et à sa légende...

Nous abordons aujourd'hui le premier volet de la saga vénitienne du Terrazzo. A ce titre, afin d'illustrer le rôle majeur du fameux sol vénitien, et avant de détailler plus avant l'évolution du Battuto* et sa place dans les différents types de constructions à Venise, parlons brièvement d'une curiosité unique au monde : la guilde des applicateurs de Terrazzo !


Venise, la Cité du Terrazzo : l'authentique Terrazzo Vénitien


Grâce à l'essor économique de Venise, les artisans du Frioul s'installèrent dans la cité lagunaire où ils participèrent très activement à l'effort de construction et de développement architectural.
En effet, jouissant d'une situation remarquable entre la Méditerrannée orientale et occidentale sur les rives de la mer Adriatique, la cité-Etat de Venise acquiert sa puissance commerciale et financière dès le Xème siècle pour devenir un carrefour incontournable au XVème siècle. En outre, située dans une zone amphibie formée de lagunes, au milieu d'îles et d'îlots, Venise est ainsi particulièrement protégée des assauts de la mer. A contrario, elle est depuis toujours menacée d'enlisement et les vénitiens durent développer un tissu urbain unique, notamment par la consolidation de leur espace vital en étendant la superficie des îlots les plus stables.

C'est dans ce contexte particulièrement propice, autant d'un point de vue économique et commercial que culturel et architectural, que les artisans/artistes du terrazzo firent prospérer leur maestria durant cinq siècles pour atteindre un "climax" de raffinement esthétique et d'efficacité technique, le tout rappelons-le dans un milieu très humide et instable. Aujourd'hui encore, on peut admirer à Venise, dans des palaces ou même des lieux plus modestes, des Terrazzos dont la beauté raffinée unique a su parfaitement traverser les siècles !


                                                                                        

Terrazzo à base de chaux, éclats de marbre petits et médium (blancs, noirs, rosso Verona, Giallo Verona,  Bardiglio...), Ca' Rezzonico, Venise, Crédit : "The Venetian Terrazzo", A. Crovato, Ed. Grafi


L'authentique Terrazzo est aussi appelé "Terrazzo Vénitien", nonobstant le fait que cet art s'est assez rapidement transporté dans d'autres localités italiennes comme Florence, Rome, Gênes, Milan etc. On parle d'ailleurs aujourd'hui, par opposition au "Terrazzo alla Veneziana" de "Terrazzo alla Genovese" : le premier serait serti d'assez gros grains tandis que l'autre serait moucheté de petits éclats minéraux. Faisant preuve de malice, on pourrait subodorer que ce distingo semble plus ressortir d'un mantra commercial contemporain que d'une réalité historique...

Une guilde des maîtres-artisans du Terrazzo dès le XVI éme siècle !


Comme nous l'avons écrit plus haut, ce sont les artisans de la région du Frioul (héritiers des connaissances antiques, cf. infra) qui ont apporté leur art et savoir-faire dans la cité-état afin de répondre à la demande croissante dans le domaine de la construction et de l'urbanisme. Ils poussèrent l'exercice de leur art à un tel niveau de singularité et de sophistication que les applicateurs de Terrazzo (Terrazzari)  fondèrent une guilde -sorte d'ancêtre de syndicat professionnel- à Venise dès 1582. Cette guilde avait pour mission de protéger le savoir-faire unique et les intérêts de la profession, en en encadrant  les pratiques ; guilde et "corporations de l'art" par ailleurs réglementées par la République de Venise au travers de décrets et de lois.

Ainsi, par exemple, chaque atelier possède son propre laboratoire et c'est le maître-artisan qui est seul habilité à choisir les matériaux. Il dispose du privilège exclusif d'accepter un chantier car ce faisant il engage le nom de sa corporation. Seul ce maître-artisan, qui aura passé une sorte d'examen (la "Provide del arte") au terme d'un apprentissage d'une durée d'au moins 5 ans sous le patronage d'un maître terrazzaro, sera habilité à ouvrir son propre atelier... Egalement, un cadre (très protecteur pour l'époque) des jeunes travailleurs fût élaboré, de telle façon que, par exemple, un apprenti ne pouvait être engagé avant l'âge de 15 ans, en considération de l'âpreté du métier...


                                                                                                       

Coupe transversale d'un terrazzo et du plancher, GA Rusconi, Della Architectura, 1590, Crédit A. Crovato, "The Venetian Terrazzo"; Ed. Grafi


Aaron / Jardin Des Matières



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